Le chemin vers un marché boursier en RDC est semé d’embûches, reconnaît l’analyste financier Pen’Oleka Liwanga. Son expertise met en lumière trois défis majeurs : une instabilité réglementaire corrosive, une culture financière embryonnaire nourrie de méfiance, et des infrastructures économiques et technologiques anémiques. Pourtant, Liwanga entrevoit des lueurs d’espoir : un accès au financement inédit pour les entreprises, la mobilisation d’une épargne nationale latente, et une impulsion vers la transparence économique. Si la route est ardue et ses chances de succès dans les cinq prochaines années évaluées à un prudent 2/5, le trader insiste sur le rôle crucial de réformes gouvernementales audacieuses et d’une collaboration public-privé pour transformer ce potentiel en une réalité boursière florissant. Ci-dessous, savourez l’intégralité interview réalisée avec le fondateur de Pen’Oleka Trading :
Frank Djodjo Mulamba (FDM)/ Au regard du climat des affaires actuel en RDC, souvent qualifié de délétère (instabilité réglementaire, corruption, défis infrastructurels), quelles sont selon vous les trois contraintes majeures qui pourraient significativement freiner la mise en place et le succès d’un marché boursier fonctionnel dans le pays ? Veuillez justifier brièvement chaque contrainte.
Pen’Oleka Liwanga (POL)/ Instabilité réglementaire et manque de cadre juridique clair. En RDC, les changements fréquents de lois, règlements fiscaux et commerciaux créent une incertitude permanente. Pour un marché boursier, la stabilité réglementaire est essentielle afin de garantir la confiance des investisseurs. L’absence de garanties juridiques solides expose les investisseurs à des risques accrus, freinant ainsi leur volonté d’acheter ou de vendre des actions sur une bourse locale.
1. Faible culture financière et méfiance du public. La connaissance des mécanismes financiers (comme l’investissement en actions) est très limitée en RDC, tant du côté du public que des entreprises. De plus, la méfiance envers les institutions financières, liée à l’histoire économique chaotique du pays, rendrait difficile l’adhésion populaire et institutionnelle au marché boursier. Sans confiance et sans éducation financière de base, le volume d’échange et la liquidité du marché resteraient extrêmement faibles.
2. Manque d’infrastructure économique et technologique adéquate. Le fonctionnement efficace d’une bourse repose sur des infrastructures de communication fiables, des systèmes informatiques sécurisés, et un accès rapide aux informations financières. Or, en RDC, les défis liés aux infrastructures (coupures d’électricité, faible accès à Internet, coûts élevés de la technologie) compliqueraient l’installation de plateformes de trading modernes, indispensables pour attirer les investisseurs locaux et internationaux.
FDM/ Malgré ces contraintes, quelles seraient les trois opportunités les plus significatives qu’un marché boursier pourrait offrir à l’économie congolaise et à ses acteurs (entreprises, investisseurs, gouvernement) à court et moyen terme ? Détaillez brièvement l’impact potentiel de chaque opportunité.
POL/ Accès facilité au financement pour les entreprises. Un marché boursier permettrait aux entreprises congolaises, en particulier aux grandes PME et multinationales locales, de lever des capitaux en émettant des actions ou obligations. Cela réduirait leur dépendance aux prêts bancaires souvent coûteux et difficiles d’accès. À court et moyen terme, cela favoriserait la croissance des entreprises, la création d’emplois et la diversification de l’économie.
1. Mobilisation de l’épargne nationale. Actuellement, une grande partie de l’épargne congolaise est soit inactive, soit investie dans l’immobilier ou à l’étranger. Un marché boursier offrirait aux particuliers et aux institutions locales un moyen formel, sécurisé et potentiellement rentable de placer leur argent. Cette mobilisation interne des ressources renforcerait la stabilité financière du pays et stimulerait l’investissement productif.
2. Transparence et modernisation économique. Pour être cotées en bourse, les entreprises doivent respecter des normes de transparence et de bonne gouvernance. Cela encouragerait une modernisation progressive du tissu économique congolais. À moyen terme, cela améliorerait la confiance des investisseurs étrangers, réduirait la corruption dans les grandes entreprises et renforcerait l’attractivité globale du pays pour les investissements directs étrangers (IDE).
FDM/ En tenant compte des défis du climat des affaires, quelles mesures spécifiques et prioritaires le gouvernement congolais, en collaboration avec les acteurs du secteur financier, devrait-il mettre œuvre pour renforcer la confiance des investisseurs (nationaux et internationaux) et assurer la viabilité à long terme de ce futur marché boursier ?
POL/ Renforcement du cadre réglementaire et juridique. Le gouvernement doit établir un cadre légal clair, stable et protecteur pour les investisseurs, avec des lois spécifiques sur les marchés financiers, la protection des actionnaires minoritaires, et la répression des délits financiers (comme le délit d’initié et la manipulation de marché).
1. Impact attendu :
• Augmentation de la confiance des investisseurs, meilleure attractivité du marché. Création d’une autorité de régulation indépendante et crédible. Il est crucial de mettre en place une Autorité des Marchés Financiers (AMF) dotée de réels pouvoirs de supervision, indépendante politiquement, et composée de professionnels reconnus pour leur intégrité.
2. Impact attendu :
• Garantie d’une régulation impartiale, crédibilité du marché auprès des investisseurs internationaux. Modernisation des infrastructures financières. Le gouvernement, en partenariat avec des acteurs privés, devrait investir dans des plateformes technologiques modernes pour la négociation et le règlementlivraison des titres (bourse électronique, chambres de compensation sécurisées, etc.) ;
3. Impact attendu :
• Fluidité des transactions, réduction des risques opérationnels et meilleure efficacité du marché. Mettre en place un programme national d’éducation financière et lancer des campagnes pour sensibiliser la population et les entreprises aux opportunités et aux risques liés à l’investissement en bourse. Cela inclurait aussi la formation de professionnels locaux (courtiers, analystes, auditeurs financiers).
4. Impact attendu :
• Développement d’une base d’investisseurs locaux solide et durable ; stimulation de la cotation initiale d’entreprises publiques et privées. Le gouvernement pourrait donner l’exemple en listant certaines grandes entreprises publiques (ex : minières, télécoms, énergie) sur la bourse. Par ailleurs, des incitations fiscales pourraient être offertes aux entreprises privées qui s’introduisent en bourse.
5. Impact attendu :
• Volume initial suffisant sur le marché, incitation à la confiance et à la participation.
FDM/ Si vous deviez évaluer, sur une échelle de 1 à 5 (1 étant très faible et 5 étant très élevé), les chances de succès de la mise en place d’un marché boursier robuste et attractif en RDC dans les cinq prochaines années, en considérant le contexte actuel, quel serait votre évaluation et quels seraient les facteurs clés qui justifient cette note ?
POL/ 📊 Évaluation : 2/5 Actuellement, les chances de réussir la mise en place d’un marché boursier robuste et attractif en RDC dans les 5 prochaines années restent faibles à modérées.
1. Facteurs principaux justifiant cette note :
• Instabilité politique et économique persistante. Les changements fréquents dans la gouvernance et la réglementation créent une insécurité juridique. L’absence d’un cadre macroéconomique stable freine les investisseurs institutionnels et internationaux. Faiblesse des infrastructures financières ; Aujourd’hui, les infrastructures bancaires et technologiques nécessaires (clearing, règlement) sont insuffisantes ou inexistantes.
Le coût et le délai de mise en place de ces infrastructures seront élevés : Confiance très limitée des investisseurs, faible culture de transparence et de gouvernance d’entreprise dans beaucoup d’entreprises locales ainsi que mauvais souvenirs d’anciens projets financiers ou commerciaux avortés ou mal gérés en RDC, augmentant la méfiance.
Taille du marché intérieur encore limitée, manque de grandes entreprises locales prêtes à se conformer aux exigences de cotation (audits, reporting trimestriels, transparence), épargne intérieure très faible : peu d’investisseurs locaux capables d’acheter des actions à grande échelle.
2. Facteurs positifs (mais encore fragiles) :
• Forte croissance démographique et urbanisation rapide → potentiel d’expansion future du marché ; Volonté affichée par certaines autorités de moderniser l’économie et diversifier les sources de financement ; Appétit croissant pour l’investissement en Afrique de la part d’acteurs internationaux, si la RDC améliore son climat d’affaires.
Sans réformes rapides, volonté politique claire et actions concrètes sur la gouvernance et la protection des investisseurs, le risque d’échec reste élevé. Mais avec un engagement sérieux, cette note pourrait évoluer positivement d’ici 5 à 10 ans.

Journaliste économique, je décrypte l’actualité financière et les tendances du marché. Spécialiste en communication des organisations, j’analyse leurs stratégies. Consultant, j’élabore des stratégies de communication globale percutantes pour les entreprises. Mon expertise se situe à l’intersection de l’économie, de la communication et du conseil.